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DRIVE

DRIVE

 

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Drive

Annoncé comme la bombe de l’année, reçu à Cannes comme une claque monumentale en son genre et trop vite comparé aux sommets de Martin Scorsese (et évidemment Taxi Driver, qui n’a strictement rien à voir si ce n’est le Drive du titre), le nouveau film de Nicolas Winding Refn n’est pas le film attendu.  Ni stylistiquement, ni qualitativement. Il faut reconnaître à cet auteur singulier et souvent inspiré une science de l’image assez époustouflante ; Drive n’y échappe pas, chaque plan est pensé, léché, sublimé par une photographie splendide et des textures travaillées. Les mouvements de caméra sont calmes, lents, sensuels, la musique berce ou accentue avec jouissance cette production d’images et de matière. Mais de matière visuelle uniquement. Les rares détracteurs du film ont accusé le réalisateur d’avoir fait de « l’anecdotique » (ce qui ne veut rien dire, un film anecdotique serait un film sans idée, ni visuelle, ni philosophique ni commerciale), ou encore, sacrilège, un exercice de style, comme si le terme exercice était si grave.

Ou peut-être ce qui a voulu être traduit est que Refn n’a en effet pas les moyens d’être autre chose ici qu’un faiseur bientôt légendaire et au talent esthétique incontestable. Drive est bel et bien un exercice de style, au sens qu’il reprend et référence un genre balisé avec des rebondissements et des personnages déjà vus, déjà utilisés. La force d’un metteur en scène est dans ce cas de transcender l’exercice et de lui insuffler une âme de cinéma qui allie inventivité et expérimentation sans quitter des yeux l’attente d’un public pour un genre précis et très codifié, en l’occurrence ici, états d’âme, courses-poursuites, romance, vengeance, voire paternité de l’antihéros criminel. Les ingrédients y sont, sans conteste, et tout d’ailleurs semble être un étalage de stéréotypes dont on se demande presque s’ils ne sont pas les effets d’un point de vue ironique du cinéaste. Mais d’ironie il n’y a finalement aucun écho ; Refn est très sérieux, bien trop. Drive lui sert à étaler sa science du cinéma et rien d’autre. Cette science en met plein la vue et se révèle maîtrisée, c’est donc bel et bien une science. Mais la vacuité du script (qui n’est pas signé par Refn) ne pardonne pas. Il est certes honorable de voir qu’un film initialement prévu pour générer de l’argent comme un blockbuster a pu devenir matière à un langage d’auteur plutôt personnel (mais pas trop, car rien n’indique au contraire de Bronson ou Valhalla Rising que nous sommes face à un film de Refn).

Mais Drive, c’est tout à fait cruel de ma part, ne se résume qu’en un flot d’images – parmi les plus belles de l’année. Au-delà d’une objectivité esthétique, les atmosphères que tente de créer l’auteur ne sont pas convaincantes, la romance ne décolle pas, le rythme est trouble (volontairement certes mais on s’y ennuie!). L’action est rare, les personnages vidés de toute substance et donc leurs comédiens figurent plus qu’ils n’interprètent. Quant aux pics de violence ils sont amenés avec subtilité mais n’aboutissent à rien d’autre qu’un quelconque besoin de gratuité un peu douteux et tape-à-l’œil. Alors d’action on attend soit une débauche excessive, massive, soit une approche suggestive mais il n’y a ici aucune prise de position face à cette question à peine esquissée. Car le problème de l’attente créée par la séduction répétitive entre le criminel et la jeune mère perdue, c’est qu’elle n’aboutit… à rien. Ryan Gosling, qui n’a pas parlé de tout le film, séduit la femme et son enfant, dézingue quelques méchants charismatiques, répare sa voiture mais ne tombe jamais amoureux ni même sous le charme. Le film ne traduit pas d’émotions mais juste des prototypes de rebondissements, de ficelles, de personnages, sans jamais prendre de risques. Au final de quel mythe historique ou cinématographique parle le film dans son alliage entre la voiture américaine, le film de braquage et la romance hollywoodienne? Le simplisme exagéré montre qu’il ne se passe strictement rien dans le film et les images finissent par sentir la superficialité et la vignette à force de ne rien retraduire d’autre que l’ébauche d’un récit. En exemple, pourquoi diable ne pas utiliser le monde hollywoodien des cascadeurs au-delà d’une simple séquence d’une minute? Pourquoi ne pas faire de cette mise en abyme l’apparat stylistique du film et ainsi le tourner en dérision?

Car Drive, ou plutôt le regard de son metteur en scène, manque cruellement d’invention et d’humour. Refn tourne un film au premier degré, d’un bout à l’autre. Son classicisme n’a pas les fulgurances des anciens mais plutôt la banalité de tout ce qui a déjà été joué auparavant. Le film enchaîne tout avec propreté, comme une gymnastique bien rodée où rien ne dépasse. En perdant tout le mordant et la bizarrerie de ses deux précédents films ou de la trilogie Pusher (et on comprendra bien qu’ici il n’est pas tout à fait maître du projet face aux studios), Refn semble devenir un cinéaste-fonctionnaire plus doué que les autres. Son film n’a d’âme que dans son fantasme de l’image et son obsession permanente de produire de la pellicule ‘clean’, au contraire d’un cinéaste comme James Gray (auquel on peut visuellement penser ici) qui, sans jamais se départir de ses lourdes influences, tisse de vraies richesses mélodramatiques au cœur de ses films. Drive lui, ne semble pas exister au-delà de sa fonction unique et de son apparence, par ailleurs très dérangeante, d’œuvre d’art consommable et finalement sans goût.

Jean-Baptiste Doulcet

Drive
Thriller américain de Nicolas Winding Refn
Sortie : 5 octobre 2011
Durée : 01h40
Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston,…

La bande-annonce :